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823. Manger dans la rue. A éviter !
Posté par le 10/11/2008 à 20:57:35
Chalom Rav,

Je souhaiterais savoir si la Halakha (la loi juive) permet de manger dehors, en marchant ou en position stationnaire. Ma question est liée à un passage de Guémara très sévère vis-à-vis de cette pratique.
Qu'en est-il pour du pain (Un sandwich), Un gâteau ou d'un autre aliment ? (Pomme, cannete...)

Merci pour votre réponse et pour votre travail.
Kol Touv

P.S:Vous avez le bonjour de Rosny-sous bois, en espérant vous revoir bientôt.
Haï G.

Réponse donnée par Rav le 24/12/2008 à 18:32:40
Il est dit dans la Guémara Kidouchine (1) : « Nos Sages ont enseigné : Celui qui mange dehors ressemble à un chien. D’autres enseignent qu’il devient impropre au témoignage. Rav Idi Bar Avine dit que la Halakha est conforme au deuxième avis.

Rachi explique sur « impropre au témoignage » : « Celui qui mange dehors, du fait qu’il ne fait pas tellement attention à sa respectabilité, n’aura pas honte de faire un faux-témoignage et de se mettre au ban de la société » (De ce fait-là, on lui interdit dorénavant de témoigner).

Tossefote (2) conteste les propos de Rachi en s’appuyant sur le Talmud de Jérusalem (3) : « Rabbi Chim'one fils de Rabbi mangeait dans la rue. Rabbi Méïr le vit et lui dit : Il n’est pas honorable pour un érudit de manger dans la rue ». Il ressort des propos du Talmud de Jérusalem que l’interdit de manger dehors ne concerne qu’un Talmid ‘Hakham, (érudit dans la Tora).

Cependant, Rabbénou ‘Hananel explique qu’il s’agit ici du cas d’un simple individu (conformément à l’opinion de Rachi), mais qui a la particularité de voler sa nourriture à l’extérieur. Dès lors, nous ne sommes plus confrontés au problème de quelqu’un qui mange dehors mais à un problème de vol (qui rend impropre au témoignage).
C’est pourquoi il convient d’expliquer qu’il s’agit ici du cas de quelqu’un qui vole moins que la valeur d’une Prouta (plus petite valeur monétaire), ce qui ne le rend pas coupable de vol, ou bien de quelqu’un qui vole de la nourriture à une personne que cela ne dérange pas (il n'y a donc pas ici de vol).

Nous pouvons nous demander pourquoi celui qui mange dehors est comparé à un chien. Rav Eliyahou (4) explique qu’il s’agit d’une configuration où l’individu se rend chez les différents marchands de nourriture et goûte un peu de nourriture chez chacun d’entre eux comme s'il voulait en acheter. En ce sens-là, cet individu ressemble à un chien qui mange de-ci de-là.

Le Maharcha explique qu'il ressemble à un chien dont la nourriture n'est pas toujours disponible à la maison et qui mange également dehors s'il en a l'occasion.

Rabbénou Tam pense que ce n’est interdit que si l’individu mange un repas à base de pain car cela lui est plus préjudiciable du point de vue de sa respectabilité.
Il ressort des propos de Tossefote que s’il s’agit d’un individu qui mange dehors sans voler sa nourriture (pas même un vol d’une valeur inférieure à une Prouta) ou bien sans aller chez différents commerçants en goûtant un peu de nourriture chez chacun d’entre eux comme s’il avait l’intention d’en acheter et dans la mesure où cet individu n’est pas un Talmid ‘Hakham, (érudit), ce n’est pas interdit.

Nous allons consulter à présent le Tour (5): « Celui qui mange dans la rue est inapte à témoigner parce qu’il n’a aucun sentiment de honte et par conséquent, il ne sera pas dérangé par le fait de porter un faux-témoignage (avec les conséquences qui pourraient s’ensuivrent pour lui s’il était démasqué).

Rabbénou ‘Hananel explique que l’on parle exclusivement du cas de quelqu’un qui, non content de manger dans la rue, vole sa nourriture (pour une valeur inférieure à une Prouta). Rabbénou Tam affirme que l’on parle exclusivement de quelqu’un qui mange un repas important dans la rue (kové’a sé’oudato bachouk) sans pour autant voler sa nourriture.
D’après Rabbénou ‘Hananel, dans le cas où l’individu ne volerait pas sa nourriture, même pour une valeur inférieure à une Prouta, s’il ne s’agit pas d’un Talmid ‘Hakham, , cela ne poserait pas problème ».

Le Tour affirme cependant que la Halakha est conforme à l'opinion de Rachi, à savoir que cela concerne tout individu même s'il ne vole pas sa nourriture (y compris pour une valeur inférieure à une Prouta).

Toutefois, le Tour précise que la personne ne devient inapte à témoigner que dans le cas où elle a l’habitude de manger dans la rue, indiquant par là qu’elle est dénuée de tout sentiment de honte (avec toutes les conséquences qui s’ensuivent : la personne ne se gênera pas de porter un faux-témoignage puisqu’elle n’est pas dérangée d'être discréditée socialement) (6).

Comment le Tour comprend-il alors le Talmud de Jérusalem qui affirme que l’on ne parle que d’un Talmid ‘Hakham ? Il affirme que le Talmud de Jérusalem parle du cas d’une personne qui mange occasionnellement dans la rue, ce qui n’est pas interdit pour un individu qui n’est pas un Talmid ‘Hakham. Cependant, s’il s’agit d’un Talmid ‘Hakham, cela n’est pas honorable, même s’il s’agit d’un repas qui n’est pas important ou d’une boisson prise sur le pouce. Par contre, s’il ne s’agit pas d’un Talmid ‘Hakham, on lui permet de consommer dans la rue une collation légère (Akhilate 'Araï) à base de fruits (7) ou une simple boisson (Chtiyate 'Araï) ne comprenant pas plus d’un verre ou deux (8).

Le Rambam (9) s’exprime ainsi : « Et ainsi les gens peu honorables n’ont pas le droit de témoigner d’après les Sages : les gens qui vont et mangent dans la rue devant tout le monde ainsi que ceux qui accomplissent un travail avilissant à moitié déshabillés dans la rue, ainsi que tous ceux qui se comportent d’une manière comparable et qui sont sans-gêne. Tout ces gens sont comparables à des chiens (animal sans-gêne) et ne se privent pas de faire des faux-témoignages ».

Le Késsèf Michné commente le Rambam en ces termes :
D’une part, « Il ressort à priori qu’il est permis de manger des fruits dans la rue ou bien même autre chose dans la mesure où la personne ne vole pas sa nourriture (même pour une valeur inférieure à une Prouta) ; cependant cette conduite n’est pas honorable pour un Talmid ‘Hakham ».

D’autre part : « le Rambam pense que la personne devient inapte à témoigner si elle mange devant tout le monde (Bifné Kol Ha’am) ».
On peut en déduire, que si la personne mange dans une rue ou un lieu public où il y a peu de monde, elle ne devient pas inapte à témoigner. Cependant, en s’appuyant sur le Talmud de Jérusalem, on affirmera que malgré tout, cette conduite ne sied pas à un Talmid ‘Hakham.

Le Bayite ‘Hadach, en commentant le Tour rapporte les propos de Rabbénou Tam qui affirme que celui qui fait un vrai repas dans la rue devient inapte à témoigner. Il conclut en disant que même le fait de faire un repas important dans la rue (Kové’a Sé’oudato Bachouk) une seule fois rend inapte à témoigner.

Il affirme par ailleurs, que le Tour a rapporté les propos du Rambam parce qu’il y a souligné un point remarquable, à savoir que la personne ne devient inapte à témoigner que si elle remplit deux conditions :
a) qu'elle mange dans la rue devant tout le monde
b) au moment où elle mange, elle se promène et ne reste pas à sa place.
D’après le Talmud de Jérusalem, il serait permis à un simple individu de manger dehors en restant assis à un même endroit ; mais pour un Talmid ‘Hakham, ce n’est pas honorable.

A ce propos, rapportons les enseignements du Rambam (10) : « On devra toujours faire attention lorsque l'on mange à rester assis ou bien à s'allonger sur le coté gauche. On ne devra pas se déplacer, ni chevaucher un animal, ni produire un effort physique, ni bouger violemment son corps, ni se promener jusqu’à ce que la nourriture soit digérée. Tout celui qui se promène ou bien qui fournit un effort physique sitôt après avoir mangé, amène sur lui des mauvaises maladies. »

Il est bon également de citer les propos du Kaf Ha’haïm (11) qui affirme au nom du Yafé Lalèv : « Il faut faire particulièrement attention à tout ce qu’a mentionné le Rambam après avoir mangé du pain le matin. » Il est rapporté dans le Maguène Avraham (12) : « Il ne boira qu’en étant assis ».
Le Michna Béroura (13) énonce : « Il faudra boire assis car on ne peut boire à priori debout ». Le Lévouché Srade explique qu’on ne doit pas boire debout.

Nous avons affaire en premier lieu à une discussion entre Rachi et Tossefote. Rachi pense que l’enseignement de la Guémara Kidouchine concerne tout individu, alors que Tossefote pense que l'on ne parle que d'un Talmid 'Hakham.
Rabbénou ‘Hananel affirme qu’il s'agit d'un cas où l'individu vole de la nourriture pour une valeur inférieure à une Prouta, ou bien vole de la nourriture à quelqu’un que cela ne dérange pas.

Pourquoi la Guémara Kidouchine affirme-t-elle que celui qui mange dehors ressemble à un chien ? Le Rav Eliyahou affirme que celui qui mange dehors goûte de la nourriture chez tous les marchands de nourriture. De ce fait, il ressemble à un chien qui mange de-ci de-là.
Le Maharcha, quant à lui, affirme qu’il ressemble à un chien par rapport au fait que le chien également ne mange pas toujours à la maison, car il ne s’y trouve pas toujours de nourriture pour lui. De ce fait, le chien mange dehors s’il en a l’occasion.

D’après Rabbénou Tam il n’y a d’interdit que si l’individu mange un repas à base de pain car cela entache davantage sa respectabilité.
Ainsi, si nous devions trancher la Halakha comme Tossefote, nous dirions que si l’individu qui mange dehors ne vole pas de nourriture et ne goûte pas non plus de nourriture chez tous les marchands et qu’en plus, il ne s’agisse pas d’un Talmid ‘Hakham, cela ne pose pas de problème.

Cependant, le Tour tranche la Halakha comme Rachi et affirme que tout individu qui mange dans la rue devient inapte à témoigner même s’il ne vole pas sa nourriture ; car du fait même qu’il mange dans la rue, nous pouvons en déduire que c’est quelqu’un qui n’éprouve pas de sentiment de honte et qu’il ne s’empêchera pas de porter un faux-témoignage même si cela lui cause par la suite du discrédit. Le Tour précise que l’individu ne devient inapte à témoigner que s’il a l’habitude de manger dans la rue.

Ainsi, celui qui mange occasionnellement dans la rue ne devient pas inapte à témoigner. Toutefois, ce n’est pas là une conduite qui sied à un Talmid ‘Hakham, même s’il s’agit d’une collation légère à base de fruits par exemple ou d’une simple boisson (14).
Le Késsèf Michné (15) tranche la Halakha dans le même sens que le Tour et affirme qu’une collation légère est permise à tout homme mais ne sied pas à un Talmid ‘Hakham.

Cependant, l’individu ne deviendra inapte à témoigner que s’il mange devant tout le monde. De ce fait, si la personne mange dehors dans un lieu peu fréquenté, il ne devient pas inapte à témoigner.

Malgré tout, un Talmid 'Hakham devra s'en abstenir. Il faut également tenir compte de l'opinion de Rabbénou Tam qui affirme que la prise d'un seul repas important dans la rue (kové’a sé’oudato bachouk) rend inapte à témoigner.

Le Bayite ‘Hadach, dans son commentaire sur le Tour, explique ainsi les commentaires du Rambam : « L'individu ne devient inapte à témoigner qu'à deux conditions :
a) il mange devant tout le monde
b) tout en mangeant, il se promène et ne reste pas à sa place. »
D‘après le Talmud de Jérusalem, il serait permis à un simple individu de prendre une collation légère dans la rue s’il restait assis. Toutefois, une telle conduite n’est pas louable pour un Talmid ‘Hakham.

En définitive, si l’individu n’est pas un Talmid ‘Hakham, qu’il ne vole pas sa nourriture, qu’il ne goûte pas de nourriture chez tous les marchands, qu’il ne mange pas de pain, qu’il ne boit pas plus d'un verre ou deux, qu'il n'a pas l'habitude de manger dans la rue, qu'il mange dans un lieu peu fréquenté et qu'il ne se déplace pas tout en mangeant, cela sera permis.

Kol Touv


1) 40b
2) Début de citation Véyech Omrim
3) Traité Ma’asrote, chap. 3, loi 2
4) Un des Ba’alé Hatossefote
5) ‘Hochène Michpate chap. 34 par.18
6) Chakh sur le Choul’hane Aroukh
7) Késsèf Michné sur le Rambam, Lois du témoignage, chap. 11, loi 1
8) selon l’opinion de Rav Shwob Chlita
9) Lois du témoignage, chap. 11, loi 1
10) Lois du témoignage, chap. 4, loi 3
11) Alinéa 155, numéro 25
12) Alinéa 296, par. 104
13) Par. 106
14) Un verre ou deux selon l’opinion de Rav Shwob chlita
15) Dans son commentaire sur le Rambam