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    Samedi 20 Avril 2024, Yom Chabbate

297. Le test de l'ADN dans la Halakha
Posté par Pinhas le 16/10/2006 à 20:23:54
Kvod harabanim,
Cette question concerne les cas de droit pénal ou commercial.
En préambule nous savons que c'est sur la foi de 2 temoins qu’ un Bèt Dine peut faire payer ou condamner un accusé, et qu’il faut que les temoins puissent être confondus en tant que Hazama (condamné eux mêmes pour faux temoignage pour pouvoir être entendu comme temoin …
Ma question est alors la suivante: l’ADN ,qui selon l’avis des scientifiques est fiable à 99,99%, peut-elle condamner à payer ou pire à la mort ? Ou est-ce une preuve supplémentaire mais qui n’a pas la force de condamner ?
Et, est-ce que l’ADN de l’accusé ne peut pas être considéré comme s'il témoignait contre lui même et dans ce cas là ,son temoignage n’est pas retenu ?

Merci à vous et dans l’espoir d’avoir été le plus claire possible dans mes questions et ne pas m’être trompé dans mon préambule.
Kol Tov

Réponse donnée par Rav Meir Cahn le 07/07/2015 à 12:04:00
Le Grand Bèt Dine de vingt trois Dayanim, lorsqu’une accusation de meurtre lui était soumise (1), ne pouvait trancher de la condamnation à la peine capitale que lorsque les faits étaient soutenus par le témoignage d’au moins deux ‘Édim (témoins), valables (2). La Michna nous précise, que des suppositions, ou des présomptions, aussi fortes fussent elles, ne pouvaient faire aboutir un jugement de cet ordre à une condamnation (3). La Gémara ajoute que ceci est valable, non seulement pour les Diné Néfachote (les jugements d’affaires criminelles, ou dont la gravité pouvait réclamer la peine capitale), mais aussi pour les Diné Mamonote (les jugements d’affaires civiles), et ceci selon l’avis des Rabbanane (4).

Cependant, il apparaîtrait que certains décisionnaires soient d’avis qu’une « Oumdana » (une supposition ou présomption), à défaut du témoignage de deux ‘Édim (deux témoins), était suffisante pour donner un verdict sur des affaires civiles, et condamner l’inculpé à payer (5).

Il serait néanmoins possible de limiter la « Ma’hlokète » (la divergence d’avis), en faisant une différenciation entre un cas où la « ‘Hézkat ‘Hiyouv » (situation préalable d’engagement, de dû) a été établie, et celui ou elle ne l’a pas été. Supportée par une « ‘Hézkat ‘Hiyouv », la « Oumdana » serait suffisante pour imposer une indemnisation (6). Une autre différentiation pourrait être proposée, entre un cas où la « Oumdana » serait alléguée pour être « Motsi Mamone » (pour faire payer, débourser) et celui où elle ne serait que « Ma’hzik Mamone » (pour renforcer la propriété, soit rejeter la demande de payement) (7).

Il est à noter également, que toutes les « Oumdanote » (pluriel de « Oumdana ») n’ont pas forcément le même degré de fiabilité. D’où la possibilité de lui attribuer ou de ne pas lui attribuer, selon le cas, de valeur (8). Certains sont d’avis qu’une « Oumdana » serait acceptable, si elle est « de notoriété publique ». Elle permettrait même, dès lors, d’être « Motsi Mamone » (de condamner à payer) (9).

De plus, les circonstances pour lesquelles le Dayane aurait la possibilité de se fier à une « Oumdana » pour être « Motsi Mamone » (pour condamner à payer), lorsqu’il est intimement convaincu de sa véracité, restent sujet à controverse (10).

Un témoignage n’a de valeur que lorsqu’il est déposé par deux personnes, qui se trouvaient sûr les lieux, et qui ont dûment suivi l’action en question. Quelle sera la Halakha lorsque les témoins n’ont pas vu l’acte à proprement parler, mais seulement son aboutissement, sa conséquence ?
Le Choulkhane ‘Aroukh (11) rapporte l’avis qui accepte cette « ‘Édoute Byédi’a Chélo Biréiya » (objet du témoignage obtenu par compréhension et déduction, sans que les faits n’aient été effectivement observés). Il semblerait que cette ‘Édoute (ce témoignage) puisse être acceptée comme un témoignage à part entière, et non pas simplement comme une « Oumdana » (12).

Dans la catégorie de témoignages apparentée à une « ‘Édoute Byédi’a Chélo Biréiya », peut être classée la « Tévi’oute ‘Éna Dékala » (l’identification par reconnaissance de la voix). Si par exemple des témoins ont reconnu une personne qu’ils connaissent, en l’ayant entendue parler, sans toutefois l’avoir aperçue. Certains décisionnaires pensent qu’effectivement cette forme d’identification est valable, au même titre qu’une une « ‘Edoute Byédi’a Chélo Biréiya » (13). D’autres pensent par contre, que la « Tévi’out ‘Eina Dékala » n’était pas considérée comme étant une authentification probante, et ne pouvait pas être acceptée pour être « Motsi Mamone » (pour condamner à payer) (14).

Les résultats d’analyses de paternité, réalisées par comparaison de l’A.D.N. d’un père et d’un enfant, d’une fiabilité frisant les 100%, sont elles acceptables ?
Permettraient-ils d’être « Motsi Mamone » (d’imposer un payement), par exemple dans un cas où la filiation ou le lien de parenté d’un prétendant à un héritage, n’est connue ou authentifiée que par l’analyse de l’A.D.N. ?
Est-ce qu’un enfant né en dehors du mariage pourrait revendiquer le droit à des allocations, d’un homme qu’il considère comme étant son père, mais dont la seule manière qu’il ait de le prouver, serait par les résultats d’un test de l’A.D.N. ?
Est-ce que le lien entre une personne et un acte malfaiteur, frauduleux ou criminel, pourrait permettre d’ordonner des indemnités ou des pénalités, lorsqu’il n’a été établit que par une analyse d’A.D.N. ?

L’avis du Roch est que dans les affaires monétaires, un déboursement n’ayant comme justificatif qu’une « Oumdana », peut malgré tout être ordonné (15). Le Roch soutient sa position par une Guémara, citant une affaire d’héritage dont les droits avaient été établis par une « Oumdana » (16). Plus encore, les « Poskim » (les décisionnaires) rapportent l’histoire d’un litige autour d’un héritage, tranchée par Rav Nissim Gaone, qui s’était basé sur une forme archaïque d’analyse de sang (17). Il apparaîtrait donc, à fortiori, qu’une analyse de l’A.D.N, menée par des experts selon les méthodes modernes et dans des conditions optimum, et dont la probabilité statistique frise les 100%, serait Halakhiquement valable (18).

Le Rav Valdenberg Chalita conteste toute valeur Hala‘hique aux tests d’affiliation paternelle basés sûr des analyses de sang, ou de cellules sanguines. Il appuie son opinion sûr la Guémara Nida 31a, qui explique que dans la conception d’un enfant prennent part trois entités : Hachèm, le père et la mère. La mère lui transmet « le rouge » (étant identifié par les Chéiltote et les Hagaote Hagra, comme étant entre autre, le sang). Dés lors, comment serait il possible d’analyser le sang d’un individu, afin de prouver ou de nier, son affiliation paternelle (19) ?!

Le Rav Chlomo Zalman Auerbach Zatsal écrit, « qu’il serait possible que la description qu’ont donnés nos Sages, de la répartition de la contribution à la procréation, ne devait peut-être pas être interprétée textuellement » (20). Néanmoins, ajoute-il « il ne faudra pas se fier aux résultats de cette analyse (de l’A.D.N.) de manière exclusive et définitive, pour établir une filiation catégorique, car Hala’hiquement, la valeur de cette analyse découle des règles de Rov (majorité, statistiques) et de Safèk (doutes) (21). Ils pourront néanmoins servir de complément à annexer au débat, que ce soit pour rejeter ou pour établir la paternité » (22). « Malgré cela, si ce test est notoire et reconnu mondialement, après avoir été dûment confirmé par de nombreuses expériences dont les résultats furent concluants, et autorisés comme étant véridiques et rigoureux, il serait logique que la Halakha puisse également s’en remettre » a-t-il conclu (23).

Vu la complexité du sujet, et la variété des éléments qui composent et distinguent chaque affaire, il sera indispensable, dans la pratique, de soumettre toute « Chééla » liée à la validation d’un test de l’A.D.N., aux compétences d’un Bèt Dine de renom. Et vu les conséquences que pourrait entraîner le résultat d’une telle analyse, lorsqu’elle serait destinée par exemple à établir – ou à rejeter - un lien de filiation, les Dayanim ne s’empresseront pas à autoriser son exécution (24).

Kol Touv.


(1) Voir la Michna, Sanhédrine 2a.
(2) ‘Houmach Dévarim, chap. 17.
(3) Michna, Sanhédrine 37 a. Cette Halakha est codifiée par le Rambam, Hilkhote Sanhédrine Pérèk 20 halakha 1.
(4) Guémara, Sanhédrine 37b, Baba Batra 93a, Chavouote 34a, Rambam, Hilkhote Nizké Mamone Pérèk 8 Halakha 14 ; ainsi tranche apparemment le Choulkhane ‘Aroukh, ‘Hochène Michpat chap. 408 par. 2. Voir également le Éven Haézèl, Nizké Mamone chap. 8 par. 14, et le Chévoute Ya’akov, tome 1 chap. 113.
(5) Voir le Choute Haradvaz tome 1 chap. 5, qui explique que c’est ainsi qu’a tranché le Roch, qui retient l’avis de Rav A’ha, l’antagoniste des Rabbanane. Voir aussi le Choute Haroch Kélal 68 chap. 23, le Choute Avkate Ro’hèl chap. 88, le Choulkhane ‘Aroukh, ‘Hochène Michpate chap. 65 par. 17. Voir également ad. loc. chap. 15 par. 3, 4 et 5.
(6) Voir le Choute Hardvaz, ad. loc. De cette manière, il serait possible de résoudre l’apparente contradiction des deux décisions du Choulkhane ‘Aroukh ci-dessus mentionnées.
(7) Choute Avkate Ro’hèl, chap. 87.
(8) Choute Avkate Ro’hèl, chap. 88 et 89, dans son commentaire sûr l’avis du Roch. Voir aussi la Michna, Chavouote 44b, la Guémara, ad. loc. 46b, Tossafote, ad. loc. 34a intitulé Dé Ite Lé, et le Choulkhane ‘Aroukh, ‘Hochèn Michpate chap. 90 par 16.
(9) Nétivote Hamichpate, chap. 15 alinéa 2. Voir aussi le Na’hal Its’hak chap. 15.
(10) Voir le Choulkhane ‘Aroukh, ‘Hochèn Michpate chap. 15 par. 5, le Pit’hé Téchouva, ad. loc. alinéa 9, le Choute Avkate Ro’hèl chap. 87 et 89, le Sdé ‘Hémèd, Ma’aré’hèt Haalèf note 387, le Zékhèr Its’hak chap. 18 note 2, le Évèn Haazèl, Nizké Mamone Pérèk 8 Halakha 14, le Toumim chap. 90 note 14, le Kovèts Chi’ourim tome 2 chap. 38.
(11) Choul’hane ‘Aroukh, ‘Hochèn Michpate chap. 30 par. 14, chap.90 par. 6 et 16.
(12) Voir le ‘Hazone Yé’hézkèl chap. 9 par. 8.
(13) Le Ri Migach, chap. 149, mentionné par le Birké Yossef, Hilkhote ‘Édoute chap. 35 note 9, ainsi que par le A’hi’ézèr, tome 3 chap. 15. Tel est également l’avis du Nétivote Hamichpate, chap. 81 note 7.
(14) Yad Rama, Sanhédrine 67. ainsi que Kétsote Ha’hochèn, chap. 81 note 13, voir également le Méchovèv Nétivote où le Kétsote explique, que la Tévi’oute ‘Éna Dékala était une forme d’identification « passablement précaire », voir également le Choute ‘Hatam Sofèr, ‘Hochèn Michpate chap. 2. Voir le Choute ‘Avodate Haguèrchouni, chap. 110, mentionné par le Pit’hé Téchouva, Hochèn Michpate chap. 280 alinéa 1, qui ne rejette la Tévi’oute ‘Éna Dékala que lorsqu’elle se présente avec une Ré’outa (une déficience). Par contre, le Cha’ar Hamichpate, Hilkhote ‘Édoute chap. 35 alinéa 4, se réfère au Talmud Yérouchalmi, pour établir la crédibilité de cette ‘Édoute, même lorsqu’elle serait affaiblie par une Ré’outa.
(15) Choute Haroch, Kélal 107 chap. 6.
(16) Baba Batra 58a. Voir aussi le Choute Hatachbats, tome 1 chap. 80.
(17) Eliyahou Raba, chap. 568 note 15, au nom du Séfèr ‘Hassidim chap. 232 par. 5. Voir aussi le Rachach, Baba Batra 58a.
(18) Voir aussi le Padar (Piské Diné Rabbanïm), tome 13 pages 56 et 57.
(19) Choute Tsits Eli’ézèr, tome 13 chap. 104. Notons néanmoins que nombre de ces analyses sont effectuées à partir d’un cheveux, ou d’une cellule prélevée dans la cavité buccale.
(20) Rapportés par le Lev Avraham, tome 2 page 17, Choul’hane Chélomo, ‘Érké Réfoua tome 3 page 141, et Nichmate Avraham, Évèn Ha’ézèr page 30.
(21) Choul’hane Chélomo et Nichmate Avraham, idem. Au sujet du Rov et du Safèk, voir le Padar (Piské Diné Rabbanïm), tome 5 page 350, et tome 13 pages 58 et 58.
(22) Explication recueillie par l’auteur du Nichmate Avraham, et rapportés ad. loc, ainsi que par Choul’hane Chélomo, idem.
(23) Choul’hane Chélomo idem, et Nichmate Avraham, ad. loc. page 37.
(24) Voir le Kovèts Téchouvote du Rav Élyachiv Chalita, tome 1 chap. 135.
 
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